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Mineurs non accompagnés : l’état d’urgence ?

Alors que la situation mondiale (politique, économique, climatique) complexe pousse de plus en plus de citoyens et de citoyennes à migrer, les mineurs non accompagnés sont quant à eux de plus en plus nombreux. Et comme tout enfant, ils ont des droits. Nous faisons le point sur leur situation, en France et dans le monde, en 2024.

Les mineurs non accompagnés en 2024

On appelle mineur non accompagné (MNA), auparavant nommé mineur isolé étranger (MIE), tout enfant de moins de 18 ans, de nationalité étrangère, arrivé sur le territoire français sans être accompagné par l’un ou l’autre des titulaires de l’autorité parentale ou par un représentant légal.

Selon la législation française, il s’agit donc d’un « mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille ».

En d’autres termes, un mineur non accompagné regroupe les 3 conditions suivantes : « minorité + isolement + extranéité ».

Définition : qu’est-ce un mineur non accompagné ?

Selon le rapport sur Les mineurs non accompagnés au regard du droit établi par le Défenseur des Droits (février 2022) :

« Un mineur non accompagné (MNA) ou mineur isolé étranger (MIE) est un enfant de moins de 18 ans, de nationalité étrangère, arrivé sur le territoire français sans être accompagné par l’un ou l’autre des titulaires de l’autorité parentale ou par un représentant légal. »

Que dit la Convention Internationale des Droits de l’Enfant ?

Tout jeune se disant mineur et isolé est un enfant à protéger, relevant des dispositions légales de la protection de l’enfance. Il doit être pris en charge à ce titre, ainsi que le stipulent la Convention internationale des droits de l’enfant et la Convention européenne des droits de l’homme.

L’article 20 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE), qui fête cette année ses 35 ans, prévoit que « tout enfant temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui, dans son propre intérêt, ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciale de l’État y compris les enfants demandeurs d’asile, réfugiés ou migrants, sans considération de leur nationalité, de leur statut au regard de l’immigration ou de leur apatridie ».

Par ailleurs, l’article 3.1 dispose que :
« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».

Dans son Observation générale n°14, le Comité des Droits de l’Enfant, organe de contrôle et de mise en œuvre de la CIDE, a défini la notion d’intérêt supérieur de l’enfant. Il rappelle qu’il a pour objectif de « garantir dans sa globalité, l’intégrité physique, psychologique, morale et spirituelle de l‘enfant » et de faire en sorte que « son intérêt supérieur soit évalué et soit une considération primordiale lorsque les différents intérêts sont examinés ».

« En 2020, plus de 10% de ses saisines en matière de droits de l’enfant concernaient des mineurs étrangers, dont la majeure partie étaient non accompagnés. »
Source : Le Défenseur des Droits

Les mineurs non accompagnés dans le monde

Dans un contexte de fortes tensions mondiales, marquées par l’accentuation des inégalités sociales, les conflits armés, les déplacements de population et les catastrophes naturelles, les mineurs non accompagnés et séparés de leur famille ou de leurs représentants légaux qui assurent leur protection, appelés unaccompanied and separated minors, sont de plus en plus nombreux.

Le nombre de mineurs non accompagnés traversant la Méditerranée centrale pour se rendre en Italie a ainsi augmenté de 60 % en 2023.

Ces mineurs non accompagnés et séparés se retrouvent alors sans accès effectif à leurs droits qui pourraient leur permettre de répondre à leurs besoins essentiels et d’assurer leur intégration. Ils ont alors davantage de risques d’être victime d’exploitation, d’enrôlement militaire, de détention arbitraire ou de tout autre forme d’abus.

L’UNHCR (Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) estime à plus de 30 millions le nombre de mineurs non accompagnés actuellement dans le monde.
Source : Médecins du Monde

Zoom sur la situation des MNA en France

En France, les mineurs non accompagnés relèvent du droit commun de la protection de l’enfance au même titre que les mineurs nationaux. Cependant, de nombreux dysfonctionnements dans l’accès à cette protection sont relevés. Force est de constater en effet que nombre de MNA ne bénéficient pas de la protection qui leur est due. Ils sont perçus à fortiori comme des étrangers, voire des délinquants, et non comme des mineurs en danger devant bénéficier d’une protection.

L’année 2022 a vu une augmentation des arrivées de mineurs non accompagnés en France (+30,64 % par rapport à l’année 2021) : 14 782 MNA ont ainsi été pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance.
Source : La Vie Publique, septembre 2023

Trois décrets d’application de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, ont été publiés au Journal officiel du 19 février 2024. Plus particulièrement, le décret n° 2024-119 du 16 février 2024, précise les modalités du régime dérogatoire d’accueil des personnes mineures ou âgées de moins de 21 ans prises en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE), mis en place par l’article 7 de la loi Taquet.

Il fixe ainsi les modalités d’encadrement et de formation requises, ainsi que les conditions dans lesquelles une personne mineure d’au moins seize ans ou jeune majeure âgée de moins de 21 ans prise en charge au titre de l’ASE peut être temporairement accueillie, pour une durée ne pouvant excéder deux mois, dans certaines structures d’accueil dont les hôtels.

Ces mesures incluent entre autres :

  • Une surveillance de jour comme de nuit au sein de la structure, par la présence physique sur site d’au moins un professionnel formé à cet effet.
  • Un accompagnement socio-éducatif et sanitaire adapté, de la part d’un professionnel titulaire d’un diplôme dans le domaine social, sanitaire, médico-social ou de l’animation socio-éducative.

Il incombe alors au président du conseil départemental de s’assure que la structure d’accueil est adaptée à l’âge et aux besoins fondamentaux du mineur, et, par des visites régulières sur site, des conditions matérielles de prise en charge.

Qui sont les mineurs non accompagnés en France ?

Dans son rapport d’activité annuel remis le 8 septembre 2023, la Mission nationale mineurs non accompagnés (MMNA) du ministère de la justice a dressé le bilan des actions menées en 2022 par l’État, les départements et les associations dans le cadre de la protection des mineurs non accompagnés.

Ci-dessous quelques extraits de ce rapport concernant les MNA arrivés en France en 2022.

5 questions à Stéphane Duval, directeur des SAVI de Béthune et Boulogne

Le SAVI (Service d’Accompagnement Vers l’Intégration) de La Vie Active s’occupe depuis 2017 de l’accueil et de l’accompagnement de Mineurs Non Accompagnés (MNA). Créée en 1964, La Vie Active est un acteur central de l’économie sociale et solidaire. Son action militante s’étend ainsi dans tous les champs d’intervention du secteur social et médico-social, s’adressant aussi bien aux enfants, aux adultes, aux personnes âgées dépendantes, aux personnes atteintes d’un handicap qu’aux personnes en grande difficulté sociale. Depuis 2017, La Vie Active est également investie auprès des mineurs non accompagnés.

Son activité prégnante dans le Pas-de-Calais s’étend à l’ensemble des champs de vulnérabilité : dépistage et prévention ; lutte contre la violence et la maltraitance ; protection, soins et rééducation ; information, conseil et orientation ; formation et éducation ; scolarisation, insertion et réinsertion professionnelle ; et accès aux loisirs.

Quels sont les principaux enjeux liés aux mineurs non accompagnés en 2024 ?

Le premier constat est quantitatif car nous faisons face à de plus en plus de MNA qui arrivent sur le territoire français. Nous sommes aujourd’hui confrontés à des flux très importants. L’accueil de ces mineurs relève de la protection de l’enfance de chaque conseil départemental et par conséquent est étroitement lié à la politique des départements. Soit une forte hétérogénéité de prise en charge en France en 2024. Quels investissements vont-ils réaliser ? Quelles structures et dispositifs vont-ils mettre en place ? De quel accompagnement pourront-ils bénéficier ?

Comment répondez-vous à ces enjeux dans le Pas-de-Calais ?

Au sein de La Vie Active, notre mission est de donner à ces mineurs tous les moyens de s’intégrer à la société française. Fin 2015, il m’a été confié la responsabilité du dispositif du centre d’accueil Jules Ferry à Calais dans lequel étaient accueillis les personnes migrantes, recouvrant alors une forte dimension humanitaire : accès à l’eau, à l’hygiène, aux sanitaires, aux aides sociales et à l’hébergement. Nous avons notamment ouvert un lieu d’hébergement protégé pour les femmes et les enfants.

Le centre Jules Ferry a fermé en novembre 2016 au moment du démantèlement. À la fin de l’année 2017, le Conseil Départemental du Pas De Calais a proposé à La Vie Active d’ouvrir une structure d’accueil pour 40 MNA. Aujourd’hui, nous en accueillons 131 sur le territoire de l’Artois et celui du Boulonnais.

Quel état des lieux dressez-vous aujourd’hui ?

Mon équipe éducative à Béthune accompagne 61 garçons et filles de 16 à 18 ans. Certains sont dans des parcours professionnalisants, et sur les 40 autres jeunes scolarisés, tous ont la moyenne, 10 ont même les félicitations, 20 les encouragements et presque tout le reste figure au tableau d’honneur. Aucun n’a reçu d’avertissement et nous pourrions faire le même constat sur le SAVI de Boulogne !

Autre point important : le nombre de jeunes engagés dans des contrats d’apprentissage. Bon nombre d’artisans, de restaurateurs et de chefs d’entreprises nous interpellent parfois directement car ils cherchent des jeunes pour mettre en place de l’apprentissage au sein de leur entreprise dans ces métiers « en tension » dont on parle tant.

Si on ne donne pas aux mineurs non accompagnés les moyens de s’intégrer, ils ne le seront jamais. Mais si on se donne les moyens d’investir humainement parlant, ça marche. 90 à 95 % des MNA que nous accompagnons arrivent à s’intégrer sans trop de difficulté car ils le veulent. Voilà ce que tous les départements doivent faire de manière unanime.

Donner à ces jeunes un accompagnement quantitatif et qualitatif est un « investissement » humain à court, moyen et long terme. J’en suis persuadé !

Comment travaillez-vous avec les différentes parties prenantes ?

Nous faisons beaucoup de prévention avec des organismes qui travaillent autour de la protection des jeunes filles (prostitution…). Nous travaillons également avec tous les services publics de droits communs qui permettront à nos jeunes de mieux appréhender leur intégration au sein de notre société (les services de soins, les services administratifs mais aussi eux de la Police ou de la Gendarmerie…).

À nous de leur apporter les moyens de s’imprégner de nos modes de fonctionnement et de nos règles tout en leur permettant de conserver leurs racines. Quoique certains en disent, dans la majorité des cas, nous faisons face à des modèles d’intégration qui sont en réelle capacité de recevoir les principes de notre république…

1 000 mineurs ont ainsi pu bénéficier de cet accompagnement en 2023 dans le Pas-de-Calais.

Et avec La Voix de l’Enfant ?

Nous travaillons bien sûr en étroite collaboration avec La Voix de l’Enfant qui nous met en relation avec des partenaires culturels, sportifs… et remonte certains sujets au niveau politique. Il est essentiel qu’ils soient entendus. En ce sens, La Voix de l’Enfant se fait le porte-voix de tous ces enfants dépourvus de représentants légaux, quels que soient leur nationalité, leur religion, leur genre, etc. Le point de vigilance de La Voix de l’Enfant porte précisément sur les décisions politiques qui seront prises prochainement. Il faut veiller à ce qu’aucun choix politique ne soit contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant.

Nous associons également les jeunes autour d’actions menées par le Défenseur des Droits dont certains mineurs vont pouvoir rendre compte à Paris. Nous travaillons avec Art Explora dont la mission est de rendre accessible le monde de la culture à des personnes qui n’y ont pas accès. Nous avons ainsi amené certains mineurs visiter le musée du Quai Branly et ils ont alors pu travailler sur une étude d’une œuvre. L’an dernier, il s’agissait de La Liberté guidant le peuple de Delacroix. L’opportunité pour eux d’apprendre les valeurs de la France.

« Les MNA que nous accompagnons ne travaillent pas que sur des métiers en tension. Un de nos jeunes suit une formation sur la modélisation 3D, une vient de tourner un film belge et a intégré en parallèle une prépa Sciences Po, une autre est en 1re année de médecine… Ils ne font pas que des métiers manuels. Notre rôle est de les aider à accéder à leur rêve. L’un d’eux, Hamza, m’a confié que lorsqu’il traversait la méditerranée, son rêve de devenir ingénieur lui a permis de tenir. Il étudie aujourd’hui en école d’ingénieur et a promis de m’inviter à sa remise de diplôme. »

Le département du Pas De Calais a inscrit dans son schéma départemental la possibilité de mettre en place un dispositif permettant d’accompagner les jeunes (y compris les MNA) au-delà de leurs 21 ans dans le cas où ils seraient dans des hautes études. Cela démontre une volonté politique humaniste quand d’autres départements proposent des accompagnements à bas coût et donc sans avenir réel.

L’impact de la loi Asile et Immigration sur les mineurs non accompagnés 

Le 19 décembre 2023, la loi Asile et immigration a été adoptée au Parlement. La loi a été promulguée le 26 janvier 2024 et publiée au Journal officiel du 27 janvier 2024. Bien que le Conseil constitutionnel ait censuré plus du tiers des articles, et si la loi n’a pas d’impact direct sur les mineurs non accompagnés, elle aura des répercussions lors de leur passage à l’âge adulte. L’obligation de justifier de 5 ans sur le sol français pour bénéficier d’une allocation logement risque de mettre en péril leur projet professionnel et, par conséquent, leur intégration. 

De la même manière, un jeune aujourd’hui doit justifier de 10 mois de scolarité pour déposer une demande de titre de séjour. Le parcours allophone (concerne tout élève nouvellement arrivé en France et parlant une ou plusieurs autres langues que le français) en revanche n’est pas reconnu comme certifiant. Donc si le mineur n’est pas scolarisé tout de suite, il ne pourra prétendre à un titre de séjour.

L’action de La Voix De l’Enfant en faveur des mineurs non accompagnés

La Voix De l’Enfant souhaite lancer des réflexions au sein de son réseau sur la situation des mineurs non accompagnés. Il s’agirait de réflexions transversales qui impliqueraient un maximum d’acteurs avec qui La Voix De l’Enfant est en lien : associations membres et autres, juristes, avocats, UAPED…

Ces réflexions incluraient le volet France et le volet international. Ainsi, l’idée serait, pour l’ensemble des pôles de La Voix De l’Enfant (France, International et Juridique), de s’investir sur ce sujet en organisant des temps d’échanges avec les acteurs concernés (groupes de travail…).

Objectifs :

  • Réunir le réseau de La Voix De l’Enfant pour travailler sur un projet commun ;
  • Rassembler dans un seul outil les constats et analyses de LVDE ;
  • Rédiger, à partir des CR de réunions et des recherches réalisées, un rapport transversal sur la situation des mineurs non accompagnés ;
  • Faire une présentation lors des rencontres annuelles ;
  • Porter un plaidoyer ;
  • Participer à changer le regard de l’opinion publique sur ce public vulnérable que sont les mineurs non accompagnés.

Nous serons ravis de vous en dire plus dans quelque temps.

Vous souhaitez soutenir nos actions en faveur des mineurs non accompagnés ? Vous pouvez effectuer un don via notre formulaire en ligne.

Crédits photo : La Vie Active