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L’enregistrement à l’état civil : enjeu majeur de la protection des enfants

L'enregistrement à un état civil est un droit fondamental, partout dans le monde, pour tous les enfants depuis le milieu du XXe siècle. En France, son origine remonte même au Moyen Âge. Pourtant, aujourd’hui encore, cet accès à une identité juridique n’est pas toujours garanti, et ce même en Europe et sur le territoire français. C’est pourquoi le combat en faveur d’un accès universel à un document d’état civil est l’un des enjeux les plus critiques du XXIe siècle.

La Voix de l'Enfant s'engage en faveur de l'accès à un état civil pour tous en République Démocratique du Congo

Au cœur de la mission de La Voix De l’Enfant se trouve cette lutte pour garantir une identtié légale à chaque enfant. Reconnu comme le premier droit à la naissance, l’état civil est non seulement une preuve d’identité mais aussi la fondation sur laquelle reposent tous les autres droits fondamentaux de l’enfant.

Que recouvre la notion d’état civil ?

L’état civil, défini comme la situation d’une personne dans la famille et la société, est le résultat d’une procédure écrite d’identification administrative qui englobe différents actes significatifs de la vie d’un individu, essentiels pour témoigner de son existence légale et sa reconnaissance dans la société.

Ainsi, selon la définition donnée par le Dictionnaire juridique :

« L’expression état civil désigne l’ensemble des éléments relatifs à la personne qui identifient un individu tels que les nom et prénoms, la date et le lieu de sa naissance, sa situation maritale. Par extension c’est l’appellation donnée aux services administratifs d’une Commune qui reçoivent les déclarations et qui conservent les registres concernant les naissances, les reconnaissances d’enfants naturels, les mariages et les décès. »

L’histoire de l’état civil en France

Historiquement, en France, l’état civil trouve ses racines dans les registres paroissiaux du Moyen Âge, dans lesquels étaient inscrits les baptêmes, mariages et sépultures concernant la paroisse. Le registre de de Givry (Saône-et-Loire), daté de 1303, figure ainsi parmi les plus anciens de France. Très vite perçue comme indispensable pour la bonne administration du royaume, la tenue de ces registres pour les baptêmes et sépultures, puis dans un second temps pour les mariages, est rendue obligatoire par François 1er dans l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539.

Au XVIIIe siècle, la Révolution marque un tournant majeur dans l’histoire de l’état civil : d’abord rédigés et conservés par les autorités religieuses, les registres d’état civil deviennent en 1792 la responsabilité des officiers d’état civil dans les mairies. Depuis cette époque, l’enregistrement des naissances, mariages, pacs, décès, de même que les autres faits relatifs à l’état des personnes (divorces, reconnaissances, légitimations, adoptions) fait l’objet d’un cadre législatif.

« L’état civil est le premier droit que l’on acquiert en naissant. Ce droit fondamental à bénéficier d’une identité se décline en droit d’obtention d’une nationalité, d’accès à la santé et à l’éducation, et ultérieurement en droit de vote et de jouer un rôle citoyen », rappelle Christel Rocheteau, Déléguée Générale de SOS Enfants et Administratrice de La Voix de l’Enfant.

Enregistrement à l’état civil : quelle situation dans le monde ?

Au XXe siècle, les enjeux liés à l’état civil sont devenus un sujet traité à l’échelle internationale. Ainsi, comme le précise l’article 6 de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée le 10 décembre 1948 lors de l’Assemblée générale des Nations Unies :

« Chacun a le droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique. »

Un droit renforcé en 1989 par l’article 7.1 de la Convention internationale des droits de l’enfant :

« L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux. »

Depuis, l’ONU, au cours de la négociation des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) adoptés en septembre 2015 par son Assemblée générale à l’unanimité, a réaffirmé l’importance de l’enregistrement des naissances aux registres de l’état civil. Ainsi, l’ODD 16.9 prévoit, « d’ici à 2030, [de] garantir à tous une identité juridique, notamment grâce à l’enregistrement des naissances ».

Un outil de lutte contre les abus

Cet enjeu est d’autant plus important qu’il permet, entre autres, de lutter contre les inégalités de genre : non seulement l’enregistrement à l’état civil, et les droits que cela octroie, met filles et garçons sur un pied d’égalité à la naissance, mais il permet également aux jeunes femmes, plus tard, de pouvoir défendre leurs droits en cas de discrimination.

L’accès à la justice notamment leur sera rendu possible uniquement si elles disposent d’une identité juridique reconnue. Une étape essentielle pour agir contre les mariages forcés, les mutilations génitales et l’exploitation sexuelle dont peuvent être victimes les mineures. 

Le phénomène des « enfants fantômes »

Toutefois, si la législation existe, les inégalités persistent aujourd’hui encore. En 2023, des centaines de millions d’enfants dans le monde vivent sans état civil, les privant ainsi d’un accès à la santé, à l’éducation et aux services sociaux de base, en un mot, à une protection. Selon Laurent Dejoie, président de l’ANF (Association du notariat francophone) et vice-président de la Région Pays de la Loire, dans une interview accordée au Journal du Dimanche en avril 2023, bien qu’il soit difficile de procéder à un décompte précis, « un milliard de personnes seraient dépourvues d’identité dans le monde » !

Qu’est-ce qu’un enfant fantôme ? « C’est un enfant qui n’est pas ­déclaré à l’état civil de son pays au moment de sa naissance, et qui n’a donc pas d’existence juridique. »

D’après le Fonds des Nations unies pour l’enfance (décembre 2019), on compte 166 millions d’enfants de moins de cinq ans non enregistrés dans le monde, soit un quart des enfants ; et 237 millions sans acte de naissance, soit un enfant sur trois qui ne dispose d’aucune existence officielle.

Si la plupart d’entre eux vivent en Afrique subsaharienne (95 millions d’enfants de moins de cinq ans non enregistrés), le phénomène touche toutes les régions du monde, que ce soit en Asie du Sud Est (51 millions d’enfants de moins de cinq ans non enregistrés) ou en Inde, mais aussi en Europe à l’image de certaines populations roms ou émigrées et même en France (notamment en Guyane et à Mayotte).

Pourquoi l’enregistrement à l’état civil est-il un enjeu crucial pour la protection des enfants

L’état civil est la première étape pour garantir l’identité légale d’un individu. Pour un enfant, il représente bien plus : c’est la clé de voûte de ses droits fondamentaux. Sans un état civil, un enfant est souvent invisible aux yeux de la loi, ce qui le rend vulnérable aux nombreuses formes de violences et d’exploitation, notamment le travail des enfants, le mariage forcé ou encore la traite des êtres humains.

Un droit d’accès aux services essentiels

Un acte d’état civil valide ouvre ainsi la porte à une multitude de services essentiels. Parmi lesquels :

  • L’éducation ;
  • Les soins de santé ;
  • La participation aux programmes sociaux ;
  • Ou bien encore le droit de vote à la majorité, etc.

Autant de droits conditionnés par la possession d’une identité reconnue officiellement. En outre, en cas de catastrophes naturelles ou de conflits, les enfants dotés d’un acte d’état civil ont une meilleure chance d’être protégés et pris en charge dans des conditions décentes.

Par conséquent, l’absence d’enregistrement à l’état civil entraîne l’absence d’un statut personnel, synonyme de l’impossibilité de :

  • Obtenir un document d’identité ;
  • Prouver ses liens de filiation (dans le cadre d’un héritage par exemple) ;
  • Bénéficier d’une nationalité (condamnant l’enfant à devenir apatride).

De la même manière, la non-reconnaissance du statut d’enfant se concrétise par l’absence des protections spécifiques reconnues aux enfants par les textes internationaux.

Sans état civil, l’enfant ne peut en effet bénéficier de mesures de protection contre :

  • Les adoptions illégales, les disparitions forcées et la vente d’enfants ;
  • L’exploitation économique et sexuelle ;
  • L’enrôlement des enfants dans les armées ou milices lors de conflits ;
  • Des décisions arbitraires de justice (peine capitale, prison à vie pour les mineurs…) ;
  • Les mariages forcés (exigence du consentement et mutilations génitales).

Le non-enregistrement à l’état civil est une non-reconnaissance de la personne menant à l’absence de protection générale reconnue aux enfants en tant qu’individu. Sans état civil, l’enfant n’aura ainsi accès à aucun droit comme celui de pouvoir prétendre à une famille, une éducation, des soins ou des loisirs, de s’informer et de s’instruire, ni à la reconnaissance du statut de victime par la justice et de réfugié lui permettant de bénéficier du droit d’asile. C’est par conséquent le respect même de sa dignité et de son intégrité morale et physique dont il est privé.

« Dans certains pays, l’absence d’acte de naissance n’empêchera pas l’entrée à l’école mais freinera le passage des examens scolaires, à commencer par le certificat d’études primaires. C’est pourquoi il est primordial d’agir pour que les enfants qui entrent à l’école disposent de cet acte de naissance. Au sein de SOS Enfants, et en partenariat avec La Voix De l’Enfant, nous menons un vrai travail de fond en ce sens, notamment au sein de notre réseau de 14 écoles au Burkina Faso et en République Démocratique du Congo (RDC) », précise Christel Rocheteau. 

Les défis liés à l’enregistrement à l’état civil dans le monde

Si dans certains pays comme la France, chaque nouveau-né est systématiquement enregistré à l’état civil ou, dans d’autres pays, où tout enregistrement implique la délivrance automatique d’un certificat de naissance, il est nécessaire d’en faire la demande. Une démarche qui peut s’avérer longue voire coûteuse, ou même éloignée du lieu de naissance. Parfois, même lorsqu’un enfant est enregistré, il n’obtient pas toujours de certificat de naissance, pourtant essentiel pour prouver son identité juridique.

Malgré son importance, l’enregistrement des naissances et la formalisation d’un état civil restent inaccessibles pour de nombreux enfants à travers le monde. Les raisons sont multiples :

  • Manque d’infrastructures, de personnel et de moyens ;
  • Éloignement géographique (absence de décentralisation des actes d’état civil) ;
  • Pauvreté (méfiance à l’égard des institutions, manque d’argent en cas d’enregistrement payant…) ;
  • Culture locale : impact des coutumes religieuses ou sociales, nomadisme de certaines populations, etc. ;
  • Cadre juridique insuffisant ou inadapté : non-reconnaissance de l’autorité parentale des mères, voire certaines lois discriminatoires, etc. ;
  • Contexte géopolitique tendu (en cas de déplacement de population lié à un conflit par exemple ou politique de contrôle des naissances), etc.

Soit autant d’obstacles structurels, culturels et conjoncturels qui requièrent une attention et une action immédiate pour assurer que chaque enfant obtienne son droit fondamental à une identité légale.

« Souvent, la distance et la méconnaissance empêchent cette démarche. L’enregistrement à l’état civil étant un service régalien, il nécessite du personnel formé, des bureaux équipés… Par conséquent, les délais peuvent être longs. En RDC, les parents disposent ainsi de 3 mois pour enregistrer leur enfant à un bureau d’état civil. En milieu rural, de nombreuses difficultés entravent l’enregistrement des naissances dans le respect du délai légal de 90 jours, allant des problèmes d’accès aux bureaux d’état civil à la non-disponibilité des registres au sein de ces mêmes bureaux. De même, ils sont aussi eux-mêmes souvent non enregistrés et ont toujours vécu ainsi. Le problème est qu’ils n’ont pas nécessairement conscience que cela empêchera leur enfant de faire des études. Le problème est que les enregistrements rétroactifs sont coûteux. En RDC, ils coûtent 250 $ alors que le salaire moyen est d’1 $ par jour. L’acte d’état civil étant enregistré sur papier, il peut également disparaître ou brûler… En tant qu’association membre de La Voix de l’Enfant, nous travaillons au sein de SOS Enfants à faciliter cet enregistrement rétroactif », explique Christel Rocheteau.

L’exemple du Nord-Kivu en République Démocratique du Congo (RDC)

La Voix de l’Enfant, avec ses partenaires comme SOS Enfants, travaille depuis de nombreuses années pour sensibiliser sur cette question cruciale en collaborant avec les autorités locales, les tribunaux, les organisations internationales et la société civile, à l’image de notre action menée en RDC, dans le Nord-Kivu. Une région particulièrement sensible exacerbée par les conflits et les déplacements de population.

En RDC, seuls 25% des enfants sont inscrits à l’état civil. Au sein du même pays, les disparités sont grandes. En 2021, ce taux était de 7% sur le Nord-Kivu. Il n’a pas été actualisé depuis.

Zoom sur le projet : « Un état civil pour les enfants du Nord-Kivu en RDC »

Le projet cofinancé par l’Agence française de développement (AFD) et l’Association mondiale des amis de l’enfance (AMADE) consiste à réaliser une campagne de rattrapage des naissances et à contribuer à l’amélioration du taux de déclaration des actes d’état civil dès la naissance avec le renforcement des capacités des acteurs locaux et l’apport des nouvelles technologies.

Mené en partenariat avec SOS Enfants, la LIDE, APROJED, SOPROMAD, et les sociétés Civipol et Digitech, l’objectif principal consiste à :

  • Améliorer le taux d’enregistrement à l’état civil des enfants à Goma et dans les Territoires de Béni et Lubero, de la Province du Nord Kivu pour que les enfants puissent disposer d’une identité légale, faisant d’eux des sujets de droits.

En parallèle, le projet intègre également trois objectifs spécifiques :

  1. Renforcer les capacités et les compétences des acteurs étatiques locaux et nationaux (acteurs de la société civile, entités administratives locales…) dans la restructuration et l’informatisation de l’état civil.
  2. Enregistrer en base de données et délivrer des actes de naissances pour des enfants non déclarés à l’état civil par l’organisation de campagnes de rattrapage des naissances à l’état civil à partir des écoles pré-primaires (maternelles) et primaires.
  3. Mettre en place une « zone pilote » avec enregistrement systématique et délivrance d’un acte de naissance des nouveau-nés de moins de 90 jours.

Pourquoi un état civil pour le Nord-Kivu ?

L’absence d’enregistrement à l’état civil des enfants est une problématique très présente en République Démocratique du Congo, et plus particulièrement dans la province du Nord-Kivu. En effet, cette province située au Nord-Est de la RDC, également frontalière du Rwanda et de l’Ouganda, est un vaste territoire de 59 483 km² majoritairement rural très riche en ressources naturelles (or, cassitérite, coltan).

De larges réserves sont convoitées par de nombreux acteurs. Par conséquent, depuis le milieu des années 1990, la zone est en proie à des conflits armés récurrents, opposant milices rwandaises, troupes ougandaises, soldats de RDC et groupes locaux. Les pillages et les destructions répétitives ont alors poussé de nombreux Kivutiens à abandonner leur village pour se réfugier dans les territoires alentours, et notamment dans la plus grande ville de la province, sa capitale, Goma.

Résultat, le système d’état civil se veut particulièrement défaillant dans la région. Cette carence pose de nombreuses difficultés à l’État qui peine à répondre aux besoins de sa population et à mettre en place des politiques adaptées. Situation faisant que les enfants non-enregistrés rencontrent des difficultés tout au long de leur vie pour faire valoir leurs droits.

La mission de La Voix de l’Enfant

L’enjeu du projet est donc de répondre à cette problématique et de faire en sorte qu’à terme, tout enfant né ou naissant au Nord-Kivu soit inscrit à l’état civil et dispose d’un acte de naissance, première étape pour faire de l’enfant un sujet de droit.

Pour répondre à cet enjeu, des campagnes d’enregistrement rétroactif sont menées dans les écoles pour délivrer un acte de naissance à 230 000 enfants. Dans le même temps, un projet pilote est mené afin de développer une méthodologie réplicable permettant d’approcher un taux d’enregistrement des enfants à 100% dès la naissance dans la zone pilote de Mabalako. Pour y parvenir, il s’agit d’intégrer au programme les populations des zones ciblées et les autorités administratives, soit 5 bureaux états civils, 3 tribunaux, 15 autorités provinciales et locales.

Où en est-on début 2024 ? Le point à mi-projet !

Lancé en mai 2022, ce projet est sur trois ans. En dépit de l’instabilité du contexte sécuritaire, les acteurs locaux ont garanti la continuité des activités en apportant des solutions opérationnelles aux défis qu’ils rencontrent dans leur gestion quotidienne du projet.

Malgré ces difficultés, un cadre de collaboration intersectorielle entre acteurs publics locaux et acteurs de la société civile a pu être mis en place à Goma afin d’assurer le suivi des activités et traiter des enjeux autour de l’enregistrement des naissances.

En conséquence, plusieurs actions ont ainsi été menées, telles que :

  • L’impression des 510 registres d’actes de naissances prévus pour le projet directement à Goma ;
  • La mise en place d’une application d’enregistrement rétroactif des enfants à l’état civil ;
  • Le renforcement de capacités des acteurs locaux : une centaine d’acteurs impliqués (directeur.rices d’écoles, présidents de tribunaux, chef de division, greffiers, officiers d’état civil…) ont été formés à la méthodologie d’enregistrement rétroactif des enfants à l’état civil ;
  • L’équipement de divers acteurs terrain (tribunaux, bureaux d’état civil, associations locales…) en fournitures administratives et équipements informatiques ;
  • Le lancement des deux premières  campagnes de rattrapage à Goma / Nyiragongo et à Lubero ;
  • La sensibilisation des familles à l’importance de l’enregistrement des enfants à l’état civil.

Depuis le début des campagnes de rattrapage, ce sont d’ores et déjà plus de 6 000 enfants qui ont reçu un acte de naissance à Goma et dans le territoire de Nyiragongo.

Prochaines étapes prévues début 2024 : le lancement de la campagne de rattrapage en territoire rural de Béni et le déploiement des activités en zone pilote de Mabalako.

En conclusion, il est important de bien comprendre que l’enregistrement à l’état civil est bien plus qu’un document. C’est la reconnaissance de l’existence d’un enfant et le fondement de ses droits. La Voix de l’Enfant, avec ses associations membres et partenaires, s’efforce de garantir que chaque enfant, partout dans le monde, reçoive ce droit fondamental pour lui permettre d’accéder à un avenir digne de ses droits d’enfant.

Crédits photos : toutes les photos illustrant cet article ont été prises dans le cadre du projet « Un état civil pour les enfants du Nord-Kivu en RDC » – ©Blaise Irenge.